Razhor et la ville perdue.

*

Le sol était sec et l’herbe chaude sous les pas du coureur. Les pieds protégés dans leurs chausses faites de peau de lièvre se frayaient facilement un passage au milieu des brins jaunis par l’été bien avancé. Les poils caressant les fibres et les coussinets de peau martelant le sol n’émettaient presque pas de bruit, assurant la discrétion du chasseur.

Le jeune garçon savait où il allait. Étant sorti de la grande forêt depuis une heure, il arpentait un espace moins boisé. Une ancienne cité abandonnée depuis longtemps. L’endroit était un lieu de chasse privilégié, bon nombre de petits animaux venant s’y réfugier, y établissant leurs nids, pensant sûrement être à l’abri des grands prédateurs des sous-bois.

Non loin se trouvait un espace plus dégagé, tout proche de marais où vivait une grande colonie de lapins. Un met de choix que le jeune homme et sa famille appréciaient tout particulièrement pour sa chair ferme et délicate dégageant se parfum si agréable au nez une fois cuit au feu de bois. Quoi de mieux que quelques lapins embrochés sur le feu crépitants et fumants. La salive lui emplit la bouche rien qu’à la pensée de ce festin qu’il ferait bientôt.

Il était parti depuis la veille, ayant parcouru la forêt à petites foulées, il ne s’était arrêté que peu de fois, non pas moins pour prendre une pause que pour se repérer en fonction des balises qu’il avait laissé sur certains arbres. Des croix de couleur qu’il avait réalisé sur les troncs à intervalle régulier à l’aide de pigments que son professeur lui avait donné. Depuis qu’il avait eu quatorze ans, ses parents l’avaient autorisé à partir chasser seul. Il avait donc eu le temps d’apprendre avec son père Làid, surnommé le fort, avant cela toutes les techniques nécessaires afin d’avoir le plus de chance de prendre une proie, mais également de se repérer dans l’espace.

Aujourd’hui, à seize ans, il était devenu l’un des meilleurs chasseurs de Pleine Forêt, le village où il vivait, et même les anciens le respectaient pour cela. C’était d’ailleurs eux qui lui avaient révélé l’existence de ce lieu il y avait un an de cela. Depuis, il y venait à chaque sortie de chasse.

Très vite, le jeune chasseur arriva à hauteur d’une berge. Le large cours d’eau qui se frayait un chemin à cet endroit n’avait en cette période de l’année qu’à peine plus de courant qu’un lac gigantesque serpentant au travers de ravines peu profondes. Le fleuve asséché par le climat hardant avait laissé apparaitre les berges mêlant terre et pierres. 

Droit sur ses jambes, surplombant les eaux, le chasseur observa les alentours. Armé de son arc qui pendait autour de son torse nu, et de ses flèches reposant dans le carquois sur son dos. Razhor fit un tour d’horizon du regard. Il portait sur les jambes, un pantalon de cuir provenant de la peau d’un bison que son père avait chassé il y a quelques années, avec un renforcement fait en ostéodermes d’Ampelosaurus au niveau des genoux. Sa mère Zuhra avait confectionné ce vêtement et lui avait offert pour son dernier anniversaire. Quant à ses armes, c’était son grand-père Mahron qui les lui avait données en présent le jour où il était parti chasser seul pour la première fois. Les flèches avaient été taillées dans du bois de cèdre et leur empennage avait été réalisé grâce à des plumes d’aigles royaux. Les pointes de métal provenaient, elles, de chez le forgeron du village, l’effilage était parfait et travaillé de main de maître par cet homme, Tallum, qui tenait comme héritage le travail des métaux par son père qui le tenait lui-même de son père et ainsi de suite d’aussi loin que l’on pouvait remonter dans leur histoire.

Tallum était un nom rare, Razhor ne connaissait cette dénomination que chez cet homme. L’individu rustre, au visage barbu et bourru lui avait un jour parlé de l’origine de ce prénom hors du commun. Il s’agissait en fait tout simplement de la contraction de metallum, un mot provenant d’une ancienne langue que l’on étudiait plus depuis deux cents ans et qui ne se parlait même plus depuis plus d’un millénaire. Metallum signifiait forcément métal, et quand on voyait le personnage qu’il était, on se disait facilement que ce mot lui convenait tout à fait.

Un sourire s’afficha sur le visage du garçon alors que maintenant il se rappelait les origines de son propre prénom. Sa mère les lui avait racontées une nuit alors qu’il n’avait que cinq ans. Le feu brûlait dans l’âtre de la cheminée, c’était l’hiver et le vent glacial soufflait au-dehors de la maison de bois. Alors qu’il était un peu fiévreux et qu’il venait d’avaler la potion préparée par la guérisseuse, le visage doux aux grands yeux marrons emplis d’amour de sa mère s’était penché vers lui et elle avait décidé de le détendre en lui racontant des anecdotes sur sa petite enfance. Elle en était naturellement venue à lui demander s’il savait d’où provenait son prénom. Évidemment, il avait fait non de la tête et après avoir esquissé un large sourire, sa mère lui avait alors raconté qu’au moment de sa naissance, ni elle, ni son père n’avaient réussi à se mettre d’accord sur un prénom, qu’à l’époque, ils étaient en route pour rejoindre ce village et que la priorité n’avait pas été immédiatement dirigée sur le choix du prénom du bébé. Durant des mois, ils ne l’avaient appelé que par de petits surnoms, jusqu’à ce que vers l’âge de neuf mois, ses babillages ne commencent à se transformer en mots, et l’un des premiers d’entre eux avait été une tentative du mot « dinosaure », qui avait donné « rasaure » dans sa bouche enfantine. Depuis ce jour, les deux parents avaient décidé de prénommer leur fils Razhor, un nom à priori unique.

Autour de lui, tout n’était que hauts murs de pierre taillée perdant peu à peu des morceaux jonchant le sol en tas de gros cailloux, avec leurs balcons métalliques se balançant pour certains dans le vide et vitres brisées, mêlés à une végétation dense faite d’arbres anciens, de plantes herbacées et de fleurs en tout genre. Au bord des eaux, les graminées se balançaient au gré du petit vent qui soufflait, tandis que des nénuphars avaient envahis les rives du cours fuyant vers l’océan loin à l’ouest. Ce qui avait été autrefois des routes n’étaient plus que des tracés quasiment informes défoncés par les racines des arbres deux fois centenaires qui par endroit étendaient leurs houppiers jusqu’à presque en cacher le ciel.

Razhor avait déjà eu l’occasion de parcourir l’ancienne cité et il avait réussi à déterminer que celle-ci devait s’étendre sur plusieurs dizaines de kilomètres et qu’elle se trouvait dans une cuvette. Plus loin, au nord-ouest, on pouvait admirer, du haut de collines, la quasi entièreté de sa superficie et de loin en loin de nombreux bâtiments de verre et de béton dépassaient encore les frondaisons des arbres qui avaient engendré une sorte de forêt nouvelle après la grande débâcle d’il y a deux siècles. Le jeune homme en avait beaucoup entendu parler, surtout à l’école où cette période de l’histoire était étudiée.

Depuis ce moment, les hommes de plusieurs régions du monde n’avaient eu de cesse de se réunir afin de créer le royaume gigantesque dans lequel il vivait, le Rike Rodinia, le royaume de la terre mère. Ainsi, les peuples du vieux continent où Razhor avait grandi avaient tous conclu un accord entre eux, ainsi qu’avec les populations qui vivaient sur le grand territoire du sud, les terres très à l’Est et les contrées de l’autre côté de l’océan qui bordait les côtes de l’Ouest. Un accord qui spécifiait l’union de tous autour de la même bannière et des mêmes lois, abandonnant ainsi la plupart des usages qui avaient fini par détériorer la vie sauvage un peu partout sur la planète. De ce fait, plusieurs jours étaient consacrés au cour d’une année aux souvenirs liés aux grands évènements qui s’étaient égrainés depuis la grande catastrophe deux cents ans plus tôt, notamment le jour des travailleurs qui tombait juste avant l’hiver et honorait le jour où différents corps de métier avaient décidé de participer dans un même effort à la construction ou reconstruction des villages après l’abandon progressive des grandes villes rendues pratiquement désertes après la grande pandémie, ou le jour de la grande libération qui marque le rappel du lancement de grandes navettes dans l’espace afin de se débarrasser des déchets radioactifs qui risquaient d’empoisonner les ressources naturelles qui, lui, tombait en plein cœur de l’été. Ces différents jours étaient là pour rappeler combien il était important de réunir les Hommes autour des mêmes causes, des causes nobles et qu’il était important de circonscrire toute forme de haine.

Bien sûr, certains peuples avaient décidé de signer partiellement les accords, concordant ainsi avec le désir de non pollution et de non-agression, mais ne souhaitaient pas entrer dans le grand royaume en construction. Les gens des terres glacées au nord s’y étaient refusés, ainsi que les peuplades du désert juste avant le vieil empire de l’Est. De nombreux territoires restaient même dans une sorte d’inconnue, alimentant des mythes et légendes dont la plupart semblaient fondés.

Razhor se souvint alors qu’un jour, il avait tenu dans ses mains d’enfant ce que sa professeure de l’époque avait appelé une photo. Une image du réel apposée sur un papier étrange, au grain lisse et reflétant la lumière comme il n’en avait jamais vu jusque-là. Sur cette photographie était présenté un instant de vie au milieu de cette grande cité dans laquelle il venait de s’arrêter de courir. Il avait pu pour la première fois voir ce qu’avait été réellement le mode de vie des gens de l’époque, leurs accoutrements étranges, les véhicules qui les transportaient, les longues rues quasiment dénuées de toute végétation, les hautes bâtisses surplombant des routes et des trottoirs bitumés. L’angoisse lui était monté un instant en observant cette image, il ne se serait jamais imaginé pouvoir vivre dans cette immense ville, et un sentiment d’oppression et de perte l’avait envahi avant que sa professeure ne reprenne l’objet pour elle et qu’elle ne parle de la vie d’avant la catastrophe. Il n’avait que six ans à ce moment, mais encore maintenant, rien que la pensée de cet instant lui procurait une sensation étrange dans l’échine, comme une gêne lui donnant de petits vertiges. Il avait besoin de sa liberté et certainement pas de la vie agitée des habitants de la cité perdue.

Les lieux raisonnaient du grincement des arbres et du chant des oiseaux qui se mêlaient de concert aux craquements et différents bruits de chute provenant des structures que le temps et les éléments affaiblissaient depuis si longtemps. La pluie avait fini par ronger les peintures et crépis et s’infiltrer au travers les interstices, en créant surement de nouveaux, grattant la pierre et rouillant les métaux et par l’action répétée de la chaleur et du froid, tout finissait par éclater et s’effondrer.

De longs crissements plaintifs répercutaient leurs gémissements sur les troncs et les murs écartelés et fissurés gagnés par les lierres et autres plantes grimpantes. Les bruits semblaient lointains. De là où il se trouvait, Razhor ne pouvait voir d’où cela provenait, mais quelque part, il s’en doutait. Il était encore tôt et le jeune homme estimait qu’il pouvait encore aller faire un tour avant d’aller chasser le lapin. Ces animaux évitaient de sortir sous la grosse chaleur, il irait donc se mettre en chasse lorsque le soleil serait bien descendu dans le ciel.

Sa longue tignasse blonde flottant dans la légère bise chaude de l’après-midi, Razhor entreprit alors la descente du mur de terre et de pierres défoncés qui se trouvait sous ses pieds, sautant de roche en roche, traces restantes de l’ancienne muraille qui gardaient les berges en dur à l’abri des caprices du fleuve dans les temps anciens. Quelques matériaux en métal rouillé émergeaient encore de la terre par endroit, visible là où les plantes n’avaient pas encore pris place. A quelques mètres de lui, au bas du dénivelé était accroché à un piquet de bois une petite embarcation. Une pirogue creusée dans un seul tronc de chêne qui attendait là, la proue pointant vers l’Ouest et se balançant tranquillement sur les eaux calmes. C’était la sienne, il l’avait patiemment fabriquée durant un hiver alors qu’il avait treize ans, en prévision de ses futurs projets d’aventure. Il s’était dit qu’un jour, il naviguerait sur le fleuve à la seule force de ses bras et qu’il rejoindrait l’océan. Un jour, lorsque ses parents le laisseront partir, il ira voir toute cette eau salée dont on lui avait parlé et qu’il avait vu sur des images ou des dessins. Parait-il qu’on n’y voyait pas l’autre bout, et ça, ça le faisait rêver. Déjà, il s’entrainait régulièrement à la pêche, c’était certes moins facile que la chasse, là où il excellait, mais il ne se débrouillait pas si mal finalement.

Une fois installé dans son petit navire de bois, le jeune homme se munit de sa longue pagaie qui était posée sur le fond et la disposa sur les deux bords. Il détacha la corde qui retenait la poupe au piquet, puis il laissa le bateau s’éloigner paisiblement de la rive où poussaient des roseaux et d’autres grandes herbes, écartant de gros nénuphars verts sur son passage. Razhor se mit ensuite à pagayer afin de traverser le fleuve dans sa largeur, affrontant ainsi de ses deux bras et de ses muscles abdominaux le petit courant estivale qui entrainait les eaux vers le lointain.

Sur sa droite, une grande île partageait le fleuve en deux et au travers des arbres et des plantes variées, on y voyait encore les anciennes habitations de quatre ou cinq étages dont les revêtements étaient tombés en décrépitude, lorsqu’ils n’avaient tout simplement pas fini par disparaître, laissant à nu les roches taillées composants des bâtisses longeant les rives, ainsi que le pont de pierre qui traversait sa pointe, joignant ainsi ce bout de terre aux deux autres rivages. Certaines maisons semblaient sur le point de s’effondrer tant elles s’affaissaient vers l’avant. D’autres avaient déjà dû s’écrouler par le passé, laissant la place libre à toute la nature qui s’était installée là.

 Un haut édifice de pierre, surmonté de deux tours carrées et largement ouvertes aux vents sur toutes leurs parties la plus haute, dominait pesamment ce paysage perdu et redevenu sauvage. De longues arches semblaient soutenir toute la structure sur ses versants nord et sud, bien que certaines semblaient s’être écroulées depuis bien longtemps, alors que d’autres étaient gagnées par les lianes, quand un arbre ne les cachait pas déjà. De hauts toits surmontés de flèches faisant face aux deux tours, semblaient indiquer l’emplacement d’un autre imposant édifice. 

A gauche, un pont aux pieds de pierre soutenant une structure en métal rouillé et parsemée d’herbes et de petits arbrisseaux traversait le fleuve de part en part. Razhor évitait d’emprunter ces ouvrages abandonnés et non entretenus de peur que l’un d’eux ne finisse par s’écrouler sous son poids. De loin en loin, l’ancienne cité s’étendait à perte de vue dans un mélange chaotique d’architecture écaillées ou démolies et de végétation s’épanouissant et occupant toutes les places vacantes, poussant même à la disparition des espaces autrefois construits. Quelques hauts monuments transperçaient encore, malgré les effets dévastateurs du temps, la canopée encore jeune, semblant ainsi garder un œil sur l’ancien monde qui retournait peu à peu à la poussière.

Au milieu du fleuve, Razhor repéra le lieu où il voulait se rendre. Une haute tour solitaire un peu plus au nord, proche du fleuve, surmontée de quatre statues qui trônaient à chaque angle, la plus haute d’entre elle étant exposée sud-ouest. Sans peine, le jeune homme blond traversa le fleuve, écoutant le clapotis du courant faiblard sur la coque de bois, le chant des oiseaux qui vivaient dans les houppiers ou survolaient les lieux, parfois très haut, taches noires sur fond bleu brûlé par le soleil.

Alors qu’il s’approchait du bord caillouteux et planté de roseaux, une énorme libellule lui passa juste sous les yeux. Le jeune homme eu un léger mouvement de recul avant qu’une créature ailée plus grosse encore ne lui passe devant à son tour. Tournant la tête afin de suivre son vol, Razhor pu la voir distinctement rattraper l’insecte dans sa fine gueule étroite et dentée. Le petit ptérosaure entreprit alors un demi-tour dans les airs, frôlant presque l’eau avec sa longue queue disposant en son extrémité d’un genre de gouvernail s’élargissant en une forme cylindrique sur le bout, avant de repasser au-dessus de la tête du garçon toujours assis dans son canot. La partie ventrale du corps entier de l’animal était blanchâtre alors que tout le dos était noir. Seule le bout de sa queue se retrouvait annelé, alors que sa tête arborait des sortes de dessins au niveau des yeux et des narines. Razhor put ainsi le reconnaitre. Bergamodactylus, un petit genre de ptérosaure ne dépassant pas les cinquante-cinq centimètres d’envergure.

Regardant par intermittence le volatile voleter agilement au-dessus des eaux mortes du fleuve attrapant au passage plusieurs autres insectes d’un coup de bec rapide, Razhor atteignit rapidement la berge. Tirant son embarcation sur le sol, repoussant les longues tiges drues qui lui barrait la route. Après s’en être sorti, il continua d’observer le ptérosaure qui poussait de petits cris rauques. En regardant cette magnifique petite créature volant au beau milieu de la ville détruite, le jeune homme se dit que tout de même que les Hommes de l’ancien temps avaient réussi à créer des choses merveilleuses malgré tout ce qu’on en disait.

Se détournant du cours d’eau, Razhor entreprit l’ascension de la bute agrémentée d’affleurements minéraux et d’enchevêtrements racinaires qui le mènerait sur la partie nord de l’ancienne ville. Levant les yeux au ciel, le souffle puissant et les muscles bandés à chaque effort, il vit au-dessus de lui la couverture verte des feuilles qui se déployaient en tous sens et se frottaient les unes aux autres au gré du léger vent, assombrissant peu à peu l’atmosphère. A mesure qu’il grimpait, les énormes troncs noueux des chênes se dressaient devant lui, le surplombant de toute leur masse, intimant comme une sensation de respect de la part du jeune homme, se trouvant soudain petit et fragile au-devant de ses géants aux corps quatre fois plus large que lui. Se dressant à son tour face aux écorces écailleuses, le garçon marqua un arrêt et les observa sur toute leur hauteur, son regard se perdant dans les larges houppiers qui s’entrecroisaient, les branches semblant se serrer les unes aux autres dans une sorte de lancinante et lente étreinte entre de longs doigts ligneux parcouru de belles feuilles lobées et bien vertes. Laissant finalement derrière lui ses embrassades végétatives, Razhor se mit en route, trottinant sur le mucus meuble, bientôt forestier, qui recouvrait le sol.

Il se retrouva vite, après avoir quitté la berge, dans une ancienne rue bordée de hautes bâtisses gagnées par la végétation. Là aussi, les vitres des fenêtres n’avaient pas tenu le passage du temps et certains murs étaient même éventrés. L’édifice sur sa gauche, dont les pans étaient à présent presque dissimulés par un bosquet d’arbres, mêlant charmes et bouleaux et plusieurs autres plantes herbeuses, semblait avoir été un lieu impressionnant en son temps. Razhor se souvint avoir arpenté toute la partie externe de l’endroit qui possédait une grande cour en son sein. Les colonnes qui autrefois décoraient et soutenaient certaines parties du long bâtiment de pierre étaient à présent, comme tout le reste, en proie à la grande végétalisation qui, incessamment, s’enchainaient aux moindres interstices, poussaient sur le moindre bout de terre libre, jusque sur les toits vides. 

Arrivant à un embranchement, il prit à droite dans une nouvelle voie large, mais bien plus longue que la précédente. Il savait que la tour solitaire était au bout de cette axe. C’est en prenant le virage qu’il entendit à nouveau le long sifflement éraillé qui traversait l’ancienne cité tout le long des journées qui s’écoulaient depuis deux cents ans. Le jeune homme continuait à courir sur la terre, prenant garde à ne pas se prendre les pieds dans les épaisses racines qui traversaient le site de part en part, appuyé par la présence des monstres d’écorces qui bordaient à présent toutes les rues. Partout où il regardait, toutes les voies adjacentes n’étaient que vieilles bâtisses sans âme et arbres gigantesques se dressant afin de prendre leur place. Tout autour de lui les anciennes colonnades s’écroulaient et les vieilles arches se creusaient et à de nombreux endroits, des trous bordés de vieux parapets tombant et pris par la rouille creusés dans le sol aux abords des constructions semblaient vouloir le mener vers les nuits éternelles des sous-sols d’où s’échappaient à certains moments des sortes de hurlements glauques et effrayant crées par le vent. Comme des appels à sombrer dans l’inconnu.

Après plusieurs minutes d’une course qui l’avait à peine essoufflée, il la vit enfin, cette tour toute de pierres taillées, haute de cinquante-quatre mètres, parcouru de vieux vitraux éclatés, de bas-reliefs et de statues et entourée d’une végétation exubérante. Tout en haut, il put apercevoir la sculpture de forme humaine qui semblait regarder vers le lointain. Razhor se dirigea vers la construction érigée droit vers le ciel à petites foulées, ne prêtant guère d’attention à l’ancestrale barrière de métal qui n’était plus que morceaux éparses et rouillés envahis par les ronces. Montant les quelques marches qui le séparaient du perron, il se retrouva vite sous l’une des arches qui soutenaient toute la structure. La statue d’un homme debout trônait en plein milieu, gagnée par les plantes grimpantes.

Razhor rejoignit rapidement l’escalier étroit et hélicoïdal qui grimpait jusqu’au toit. Cette fois, il ne se permit pas de courir, préférant s’assurer que chaque marche était encore assez solide pour accueillir ses pas, écoutant également le moindre bruit suspect prévenant d’un possible effondrement. Finalement arrivé tout en haut, il poussa une porte métallique laissée entrouverte qui céda difficilement dans un long grincement plaintif qui semblait résonner de toute part dans la tour creuse.
L’adolescent entama finalement la traversée du toit dallé de pierres grisâtres et mouchetées de lichens et de petites pousses s’évertuant à s’approvisionner en chaleur afin de grandir entre les jointures. Razhor se dirigea vers la statue humaine, non sans prêter un regard aux trois autres qui marquaient chaque angle. Un aigle, un taureau et un lion. Arrivé à son objectif, il s’appuya sur l’homme de pierre afin de passer par-dessus le parapet et de s’y assoir. 

Razhor observa alors de ce point de vue, une grande partie de la ville. Il voyait tous les toits gagnés par la végétation et bientôt les houppiers des arbres qui ne cessaient de pousser. Le soleil baignait de tous ses rayons la cité qui s’écroulait petit à petit, laissant s’évanouir le passé glorieux de l’ancien monde. Le jeune homme devinait également le fleuve qui coupait la ville en deux. Soudain, le long sifflement aiguë et mélancolique donna à nouveau de son chant inharmonieux.

Un très haut édifice de métal, immense flèche de fer dentelé, était plantée sur l’autre rive. D’une hauteur vertigineuse, elle laissait entendre sa complainte, signe de fatigue et d’effondrement prochain. Le vent, la pluie, le froid et le chaud auraient bientôt raison de ce monstre colossale se dressant sur ses quatre pieds de géant. Razhor savait que bientôt cette autre tour ne serait plus. Cette immense structure conçue par l’ancienne civilisation était pourtant l’une des choses qu’il aimait le plus à regarder lorsqu’il venait ici, se reposer sur ce parapet de pierre, à côté de cette vieille statue s’élevant aussi fièrement face à la tour de fer, devant la perdition implacable du monde qui les avait vu naitre.

Razhor décida d’observer encore un peu ce mélange de destruction et de vie, vie qui tel un poumon gigantesque, marquait de ses entrelacs l’espoir de la nature de propager un nouveau souffle, une abondance d’êtres de toutes sortes, mêlant leurs cris et leurs chants au sein de la ville forêt qui se déployait sur plusieurs dizaines de kilomètres, jusqu’à d’autres tours dont le verre qui les composait autrefois avait presque totalement disparu.

Le soleil entamant sa descente spatiale annonça le départ en chasse.

Fin.
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